Les grands entretiens – Marc Bellemare : défendre les victimes malgré la résistance d’un système corrompu
L’avocat Marc Bellemare défend les victimes d’accidents ou d’actes criminels devant la machine bureaucratique de la justice ou de l’État depuis le début de sa carrière, en 1979. Il a même tenté de réformer le système de justice de l’intérieur : nommé ministre de la Justice en 2003, il a démissionné un an plus tard, épuisé par la résistance à ses réformes au sein de son propre parti, et dégoûté par la corruption qu’il aurait constatée.
« Très rapidement, des bailleurs de fonds m’ont demandé de nommer des amis [du Parti libéral comme juges] », explique Marc Bellemare à propos de son expérience en politique provinciale. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui l’ont poussé à remettre sa démission 12 mois après avoir été nommé ministre. Il croit que la démocratie vacille au Québec en raison de la corruption et de la folie du pouvoir.
« C’est ce que craignait Socrate quatre siècles avant Jésus-Christ », rappelle-t-il, déçu de son expérience en politique provinciale. « Ils veulent rester [au pouvoir] à tout prix. »
C’est une business, le Parti libéral.
Avant la campagne électorale du printemps 2003, la plupart des partis l’avaient courtisé afin qu’il joigne leurs rangs. Sa défense des droits des victimes d’accidents ou d’actes criminels devant les tribunaux ou dans les médias avait fait de lui un candidat à l’image intègre. Une fois élu, il a vite déchanté lorsqu’un bailleur de fonds de son parti lui a donné une liste de juges à nommer.
« [J’ai dit à Jean Charest] que je n’étais pas content, raconte-t-il aujourd’hui, parce qu’on me demandait de nommer des juges qui n’étaient pas nécessairement mes choix. » L’ancien premier ministre lui aurait alors répondu de les nommer quand même. « Je me disais : « Quel univers malsain ». »
Marc Bellemare a d’ailleurs dénoncé publiquement la corruption dans le processus de nomination des juges au Québec, ce qui a mené à la création de la commission Bastarache en 2010.
Est-ce que Pierre Reid l’a vécu à l’éducation? Je ne le sais pas. Est-ce que Philippe Couillard l’a vécu à la santé? Je ne le sais pas. J’imagine qu’il a eu de la pression aussi. Yvon Marcoux, qui était aux Transports? Moi, je l’ai vécu à la justice.
Pratiquer le droit pour combattre les injustices du système
Depuis, si ce n’est un passage en politique municipale à Québec de 2005 à 2009, il se consacre surtout à la pratique du droit. Son cabinet défend encore aujourd’hui les victimes d’actes criminels ou d’accidents lorsque celles-ci ne reçoivent pas un traitement équitable, entre autres en ce qui concerne les dédommagements par des organismes comme la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) ou encore le programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC).
Il raconte comment, par exemple, des fonctionnaires de l’IVAC donnent parfois – en pleine connaissance de cause – de fausses informations à des victimes, leur expliquant qu’elles n’ont pas le droit de réclamer des indemnisations, alors qu’elles sont, au contraire, admissibles à ce programme en vertu de la jurisprudence.
Quand la machine refuse de respecter la loi et de respecter le bénéficiaire, qu’est-ce qu’on fait? On doit s’attaquer à la machine. […] Maintenant, c’est David contre Goliath.
Il reproche aussi à la plupart des avocats du Barreau du Québec d’avoir des préoccupations plutôt frugales.
« Il faudrait que les avocats soient plus revendicateurs, parce que le Barreau pourrait être un peu plus actif socialement que ce qu’il fait actuellement, dit-il. Un peu moins de bulles, et un peu plus d’indignation. »
La capacité d’indignation de Marc Bellemare est en effet le moteur de son travail. Chaque jour, lorsqu’il rencontre des victimes flouées, il retrouve son énergie pour faire en sorte qu’elles soient mieux traitées, par exemple en se battant pour l’application de délais de cour plus raisonnables. Il lutte pour que le régime public actuel ait plus d’« humanité », soutient-il.