Un immigrant colombien «floué»

Un juge de la Cour supérieure blâme la CSST pour avoir traité le dossier avec iniquité

Après un accident de travail en février 2011, Menardo Torres, unilingue hispanophone et analphabète, se retrouve dans les dédales administratifs de la CSST. L’organisme aurait tenté de le flouer, croit son avocat Marc Bellemare.

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LE JOURNAL DE QUÉBEC

PIERRE-PAUL BIRON

MISE à JOUR 

Un juge de la Cour supérieure a récemment rendu un jugement au profit d’un immigrant bénéficiaire de la CSST rendu vulnérable par la barrière de la langue. Pour l’avocat Marc Bellemare, l’organisme avait «une volonté claire de flouer l’accidenté».

Après un accident de travail en février 2011 qui le laisse avec une atteinte permanente à une épaule, Menardo Torres se retrouve dans les dédales administratifs de la CSST. Unilingue hispanophone, analphabète même dans sa langue maternelle, M. Torres représente pour Marc Bellemare la victime parfaite du système.

«Le gars ne comprend pas la procédure et ne comprend pas la complexité des dossiers. C’est le travailleur démuni par excellence, physiquement, mais aussi culturellement», raconte Me Bellemare, qui représente la victime, privée de la moitié de ses prestations.

Manque de communication

Ayant nommé son avocat responsable de ses dossiers, Menardo Torres est convaincu que ce dernier recevra toute la documentation et les décisions le concernant, comme promis par la CSST. Me Bellemare réalise toutefois en février 2015 que l’organisme a omis de lui transmettre des décisions cruciales, qu’il n’a pu contester par la suite en raison des délais.

La Commission contraignait donc M. Torres à occuper un emploi de livreur à compter du 8 janvier dernier, sans quoi ses prestations seraient coupées, sans que son avocat soit mis au courant. «C’est odieux de ne pas m’avoir informé, mais ça fait partie de leur stratégie. Ils veulent avoir le dessus sur l’accidenté», déplore Marc Bellemare.

Moitié des revenus habituels

L’immigrant colombien, qui pourvoit seul aux besoins de sa femme et de ses quatre enfants, reçoit maintenant 1060 $ par mois, au lieu de 2400 $. Le juge lui ayant donné raison, la situation pourrait être rétablie dans les prochains mois, mais d’ici là, les temps sont durs pour la famille. «C’est difficile d’expliquer à ses enfants qu’on ne peut pas acheter un jouet parce que, ce mois-ci, il faut payer les dettes qu’on a contractées à cause de cette histoire», explique la femme de M. Torres, qui s’exprime en français.

Menardo Torres insiste sur le fait qu’il n’a pas l’intention de profiter du système et que s’il le pouvait, il travaillerait toujours. «Je ne suis pas venu ici pour vivre de l’aide sociale, assure l’homme de 55 ans. Quand on voit les publicités de la CSST, on croit qu’ils sont là pour protéger les travailleurs et non les détruire.»

UNE DÉCISION QUI POURRAIT FAIRE DU CHEMIN, SELON ME BELLEMARE

Ayant obtenu de la Cour supérieure une décision en faveur de son client contre la CSST, Marc Bellemare entend utiliser ce jugement pour faire changer les pratiques au sein de l’organisme.

«Le cas de M. Torres n’est pas unique. Des milliers d’accidentés québécois prennent des avocats pour les guider dans leur dossier et la CSST omet de communiquer avec ces avocats-là. Ils doivent arrêter de jouer ce rôle agressif», insiste l’ancien ministre de la Justice.

Me Bellemare prévoit maintenant faire parvenir la décision du juge Simon Ruel à la Commission, mais aussi au ministre responsable, au Protecteur du citoyen et aux syndicats pour que tous soient au courant du blâme porté contre la CSST et la Commission des lésions professionnelles.

Les seuls à agir ainsi

«Il y a eu un virage dans les années 2010. Il y a beaucoup plus d’injustices et de tentatives de tromper et de profiter de la vulnérabilité des accidentés, tout ça, souvent, à l’insu de leur avocat. Et là, un juge de la Cour supérieure dénonce le travail de la CSST», souligne Me Bellemare.

Ce dernier s’inquiète du fait que la CSST soit le seul organisme du genre à ne pas offrir de collaboration. «Ce sont les seuls à ne pas envoyer les documents aux avocats. Ils travaillent dans leur intérêt, souvent financier, au mépris des accidentés. Pourtant, leur rôle est de réadapter les travailleurs, pas de les “garrocher” au travail», s’indigne l’avocat.

Il espère maintenant que les pratiques changent et que la communication soit meilleure avec la CSST. «Ce ne sont pas des oublis, croit Marc Bellemare. C’est pleinement réfléchi, de ne pas transmettre des documents, et ça n’a pas de sens.»

EXTRAITS DU JUGEMENT

« La CSST a fait preuve d’inéquité (sic) à l’égard de M. Torres. La CLP devait intervenir et corriger cette inéquité (sic) en prolongeant le délai de révision. »

« Compte tenu […] de l’état de vulnérabilité du travailleur et du court délai en cause, l’interprétation rigoriste du droit à la prolongation de délai de révision par la CLP est déraisonnable. »

« Cette inéquité (sic) repousse la présomption de validité et derégularité procédurale des décisions administratives et vicie les décisions de la CSST. »

« Le Tribunal rappelle que le régime est à caractère social et remédiateur (sic). L’objectif est de réparer les lésions professionnelles et non de priver les personnes visées de droits. »

QUI EST MENARDO TORRES ?

  • Marié, père de quatre enfants
  • Colombien arrivé au pays en 2003
  • Parle uniquement espagnol
  • Ne sait ni lire ni écrire
  • Débosseleur de profession