Projet de loi C-32 et les victimes

-Claude Laferrière:

La charte de la honte, c’est le projet de loi C-32 désigné aussi comme Charte des droits des victimes par le gouvernement conservateur de Stephen Harper.

Huffpost

Pour faire suite au colloque d’avril 2013 sur les victimes d’actes criminels intitulé Dans l’oeil des victimes organisé par Me Marc Bellemare, et surtout à la croisade du sénateur Pierre-Hughes Boisvenu, le gouvernement Harper a procédé à des consultations sommaires de groupes de victimes, mais négligé de rencontrer ou d’inviter des avocats des victimes, dont le soussigné. Les conclusions et recommandations dudit colloque, auquel j’ai participé en y animant avec le sénateur Boisvenu un atelier sur le projet de charte, constituaient des avancées majeures des droits des victimes et de leurs familles. On y retrouvait le droit à l’avocat, le droit à la communication de la preuve, mais aussi et surtout, le droit de la victime de ne pas consentir, sorte de veto, à un plea bargaining entre la Couronne et la défense, et le droit de contester la décision de la Couronne – entendons le DPPC – de ne pas en appeler d’un jugement.

Or, cette pseudo-charte n’est que la codification de la pratique générale de nos tribunaux. Rien de neuf sauf notamment, et de façon toute particulière, l’article 20.

Cette disposition consacre l’immunité de la police et de la Couronne par rapport aux victimes et braque clairement l’exécutif contre les victimes en provoquant ce que la common law désigne comme un chilling effect, ou effet dissuasif, sur la liberté d’expression en matière judiciaire. Cette disposition est en quelque sorte une interdiction large et subjective de critiquer publiquement les décisions judiciaires, de la Couronne et de la police. Les médias auraient donc intérêt à y voir de plus près. À la limite, l’infraction d’entrave à l’administration de la justice, à cause de son imprécision, peut être du n’importe quoi, en passant du regard menaçant ou du commentaire privé à la déclaration publique d’une victime ou de sa famille. On pourrait même y voir la possibilité d’introduire des crimes politiques pour taire l’opposition sous le couvert de l’entrave à l’administration de la justice, tellement ce concept d’entrave est flou, subjectif et mal défini. C’est le crime typique de tous les régimes répressifs, de toutes les dictatures, où la détention préventive à durée indéterminée devient la règle.

Comment en sommes-nous arrivés là? La démonstration est toute simple: la victime ne doit pas porter atteinte au pouvoir discrétionnaire de la police, de la Couronne, et ainsi de suite, sinon elle risque une accusation d’entrave à l’administration de la justice stipule l’article 20. Et puisque le projet de loi n’énumère aucun critère objectif pour déterminer ce que constitue, à titre d’exemple, une entrave à l’administration de la justice de la part d’une victime, on doit comprendre que le critère est subjectif, donc laissé à la discrétion de la police et de la Couronne.

Si ce projet de loi était adopté tel quel, il en résulterait un net recul des droits des victimes eu égard à leur liberté de s’exprimer sur la place publique ou privément. Le débat public commande que les victimes et les commentateurs publics, journalistes, éditorialistes, avocats et autres intervenants puissent exprimer librement leur opinion, voire leur colère ou leurs insatisfactions sur la place publique.

Mais une question demeure: à quel individu ou organisme le ministre de la Justice a-t-il prêté l’oreille pour inclure cette disposition dans son projet de loi?

Le gouvernement Harper n’en est pas à sa première tentative de museler la presse et d’administrer l’État à la manière de Poutine, en secret et contre ses « ennemis » réels ou imaginaires.
Mais ce qui est particulièrement abjecte dans le dossier des victimes d’actes criminels, c’est l’instrumentalisation politique de la douleur et du drame des autres à des fins électoralistes, de faire des promesses à la seule fin d’obtenir des votes et de laisser tomber des personnes vulnérables lorsque vient le temps de livrer la marchandise. Ici, ce sont les victimes et leurs familles qu’on cherche à museler.

Au chapitre des droits de l’homme, ce gouvernement n’a vraiment rien à envier aux dictatures de la planète. Reste à voir ce que les autres partis politiques, si portés au pouvoir un jour, réservent aux victimes d’actes criminels et à leur proches.

De 2008 à 2011, Claude Laferrière a agi comme avocat probono auprès des familles de l’AFPAD (Association des familles et personnes assassinées ou disparues).